Homélie de Monseigneur Christory, messe du 22 mars 2020
Chers amis et diocésains d’Eure et Loir,
Nous vivons le quatrième dimanche du carême. Il a une coloration particulière, c’est en effet le dimanche de Laetare. Ce nom provient de l’invitation spirituelle « Laetare Jerusalem » – Réjouis-toi, Jérusalem. C’est comme une pause au coeur du carême pour voir le chemin parcouru et avancer vers la Fête de Pâques. Nous voulons nous réjouir du don de Dieu, tout en demeurant attentif à ceux et celles qui souffrent.
C’est le premier dimanche de confinement total et cependant, grâce aux médias beaucoup vont être reliés en ce jour autour de l’eucharistie soit par la télévision soit par Internet soit par la radio et les réseaux sociaux. Dans ce temps de grave crise sanitaire, des liens se tissent, des solidarités humaines s’organisent comme ces rendez-vous du soir pour applaudir le personnel soignant tellement engagé pour sauver des vies, ou ces chaînes d’appels téléphoniques et d’entraide pour rejoindre les plus fragilisés.
C’est normalement un dimanche des scrutins des catéchumènes qui devaient être baptisés lors de la Vigile pascale. Un scrutin est une prière appelée aussi exorcisme qui demande à Dieu d’ôter le mal qui demeure dans le coeur du futur baptisé et d’y faire grandir le bien. Lié à l’Evangile que nous venons d’entendre, celui de l’Aveugle-né, il s’agit de prier pour que nos aveuglements cessent et que nous voyons avec les yeux du coeur, afin d’aimer davantage.
C’est donc une bonne nouvelle que cet Evangile. Un homme ne voyait pas depuis sa naissance. Il croise le chemin de Jésus et dorénavant va voir.
Ces jours, nous arrivent des témoignages de belles histoires. J’aimerais reprendre un extrait de l’un d’eux, celui de Lulian, médecin italien de 38 ans, qui soigne en Lombardie, en Italie. Ecoutons le :
« Jamais dans les cauchemars les plus sombres je n’ai imaginé que je pourrais voir et vivre ce qui se passe dans notre hôpital depuis trois semaines. Le cauchemar. Au début, certains sont venus, puis des dizaines, puis des centaines et maintenant nous ne sommes plus médecins mais sommes devenus des trieurs qui décident qui doit vivre et qui doit être renvoyé chez lui pour mourir.
Nous devons admettre que, en tant qu’êtres humains, nous avons atteint nos limites, nous ne pouvons pas faire plus. Il y a de plus en plus de gens qui meurent chaque jour… nous sommes épuisés, deux collègues sont morts et d’autres ont été infectés.
Jusqu’à il y a deux semaines, mes collègues et moi étions athées; c’était normal parce que nous sommes médecins et nous avons appris que la science exclut la présence de Dieu. J’ai toujours ri de mes parents qui allaient à l’église.
Il y a neuf jours, un homme de 75 ans est venu nous voir; C’était un homme gentil, il avait de graves problèmes respiratoires mais il avait une Bible avec lui et il nous a impressionnés parce qu’il l’a lue aux mourants et les a tenus par la main.
Nous étions tous des médecins fatigués, découragés, psychologiquement et physiquement finis, quand nous avons pris le temps de l’écouter.
Nous avons réalisé que là où finit ce que l’homme peut faire, nous avons besoin de Dieu et nous avons commencé à Lui demander de l’aide quand nous avons quelques minutes de libres; Nous parlons ensemble et nous ne pouvons pas croire qu’en tant qu’athées féroces, nous sommes maintenant à la recherche de notre paix, demandant au Seigneur de nous aider à résister afin que nous puissions prendre soin des malades.
Hier, ce pasteur de 75 ans est décédé. Le berger est allé vers le Seigneur.
Malgré plus de 120 morts en 3 semaines ici et notre épuisement, il a réussi à nous apporter une paix que nous n’espérions plus retrouver.
Je ne suis pas rentré chez moi depuis 6 jours, je ne sais pas quand j’ai mangé pour la dernière fois, et je me rends compte de mon inutilité sur cette terre et je veux prendre mon dernier souffle pour aider les autres.
Je suis heureux d’être revenu à Dieu pendant que je suis entouré par la souffrance et la mort de mes semblables. “
Ce témoignage est à la fois rempli de désespoir mais une renaissance advient. Comme ces fleurs qui percent la terre en premier avant même le printemps pour éblouir nos cœur d’hommes par leur beauté.
L’Évangile de ce dimanche est une scène incroyable racontée par Saint Jean. On pourrait même se demander comment tant de détails ont pu être conservés dans la mémoire jusqu’à ce qu’il soit écrit. Mais nous-mêmes ne prenons-nous pas le temps de raconter telle rencontre faite avec un ami, les mots qu’il nous a dit et nos propres réponses ? À l’époque de Jésus, il y a pas d’écrit pour le peuple, mais la mémoire est grande, tous se racontant les histoires de famille. Ce récit de la guérison de ce jeune homme né aveugle est édifiant.
Tout d’abord Jésus le voit. Souvent dans l’Évangile Jésus voit des personnes que personne d’autre ne voit : tel grabataire, telle femme malade, tel pauvre oublié de tous, tel lépreux rejeté. Les yeux de Jésus exprime la grandeur de son cœur. Il est tout tendu vers l’autre. Un autre récit montre très bien cela, celui du jeune homme riche : « Jésus le vit et il l’aima. »
Le regard de Jésus sur nous est celui de l’Amour, pas du jugement.
Jésus pose un geste quasiment sacramentel. Il utilise la Terre, il ajoute sa salive pour signifier sa propre vie, et il lui dit de se laver à la piscine de Siloé. L’homme répond à cette invitation, et il est guéri, il voit parfaitement.
Va alors s’en suivre une dispute avec les pharisiens qui ne supportent plus Jésus car il outrepasse les lois établies, et qui fait cette guérison, guérison qui est un travail, interdit le jour du sabbat. Pour ces religieux, c’est un grave irrespect de Dieu.
Dans ce long récit, nous voyons ensuite la rencontre de Jésus qui revoie plus tard l’homme devenu voyant.
Reprenons cette scène merveilleuse :
Il le retrouva et lui dit : « Crois-tu au Fils de l’homme ? »
Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? »
Jésus lui dit : « Tu le vois, et c’est lui qui te parle. »
Il dit : « Je crois, Seigneur ! »
Et il se prosterna devant lui.
L’expression « Fils de l’homme » tire son origine dans le livre de Daniel et exprime l’habitation divine.
« Crois-tu au Fils de l’homme ? » Cet homme plein de bon sens répond avec justesse : « Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? » Jésus se révèle à lui : « tu le vois je le suis. »
Alors cet homme guéri n’a qu’un cri : « je crois Seigneur »
Et il se prosterne devant lui, faisant ce geste d’adoration réservée à Dieu.
Comme pour ces médecins italiens, comme pour nos catéchumènes bientôt baptisés, comme pour les recommençants qui rouvrent la Bible, Dieu se révèle doucement, leur ouvre les yeux, suppriment leurs aveuglements.
Dans notre société française pourtant bénie par une histoire chrétienne emplie de sainteté, beaucoup de personnes sont aveugles. Il y a certes bien des mal-voyants physiques. Mais il y a les aveugles du cœur, ceux qui ne voient plus l’autre comme un être aimable, qui sont enfermés dans leurs égoïsmes, leur clan, leurs certitudes. Nous sommes confinés dans nos logements, mais peut-être avions-nous déjà le cœur confiné ?
En ce carême, c’est à eux que Jésus redit : « convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »
Toi qui écoute ces mots, ne crains pas d’ouvrir ton coeur à Jésus, de le laisser entrer dans ta vie, de lui dire – même si c’est avec hésitation – : « Je crois Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle ».
En ce dimanche, découvrons la liberté que donne l’Amour manifesté par Jésus. Laissons nous toucher par lui à travers la lecture de l’Evangile. Choisissons de devenir ses disciples. « Jésus ne prend rien, il donne tout » disait le pape Benoît XVI.
Vivons la joie de ce dimanche de Laetare. Réjouissons-nous ! Je vous bénis tous. Amen.
Mgr Philippe Christory
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